L'Allemagne: Un conte d'hiver

Caput VIII

Text by Heinrich Heine (1797-1856)
traduit en français par Joseph Massaad

deutsch - english

Avant-propos| Adieu | I | II | III | IV | V | VI | VII | VIII | IX | X | XI | XII | XIII | XIV | XV
XVI | XVII | XVIII | XIX | XX | XXI | XXII | XXIII | XXIV | XXV | XXVI | XXVII

De Cologne à Hagen, la poste coûte,
En monnaie prussienne, plus de cinq thalers.
Malheureusement, la diligence était réservée,
Et je dus voyager dans l’ annexe, à découvert.

La voiture haletait dans la boue,
En un matin d'automne avancé, humide et gris;
Pourtant, malgré le mauvais temps et chemin,
Un doux bien-être traversa mes esprits.

Oui, c'est bien l'air de mon pays!
Ma joue enflammée l'a bien senti!
Et cette crotte sur la grande route,
Est bien la crotte de ma patrie!

Les chevaux remuèrent une queue confiante,
Comme si nous étions de vieux amis.
Et leurs petites crottes ne parurent jolies,
Comme les pommes de l’Atalante !

Nous traversâmes Mühlheim. La ville est belle,
Les gens y sont calmes et appliqués.
La dernière fois que j’y étais,
Fut en l’an trente et un , au mois de Mai.

À l'époque tout était garni de floraisons
Et les lumières solaires riaient,
Les oiseaux chantaient, pleins de mélancolie,
Et les hommes, pleins d'espoir, pensaient.

Ils pensaient: « La maigre chevalerie
Va bientôt s'en aller d'ici,
Et le verre d'adieu leur sera offert
À partir de longues bouteilles en fer!

Et la liberté viendra avec jeux et danses,
Avec le fanion tricolore;
Peut-être même fera-t-elle sortir de la tombe
Le Bonaparte qui est mort ! »

Ah bon Dieu! Les chevaliers sont encore ici,
Et certains de ces individus
Qui, arrivés maigres comme des clous au pays,
Sont maintenant de gros ventrus.

Ces blêmes canailles, qui nous avaient parus
Comme des symboles de foi, d'espoir et d'amour,
Ils se sont bien saoulé la gueule,
Avec notre vin, depuis ce jour.

Et la liberté s'est entorsé le pied,
Et ne peux plus se déchaîner, ni sauter;
Du haut de ses tours, le tricolore à Paris,
Regarde vers le bas, attristé.

L'empereur est depuis lors ressuscité,
Mais la vermine anglaise a réussi
À en faire un homme immobile.
Il se fit se nouveau enterrer, depuis.

J'assistai moi-même aux funérailles du mort,
Je vis le cercueil en or,
Que les déesses de la victoire portaient
Sur la voiture dorée.

Le cortège avança lentement,
À travers la brume, sur la voie enneigée,
Sous l'arc de triomphe,
Le long des Champs Elysées.

La musique était affreusement discordante.
Les musiciens étaient raidis
Par le froid. Les aigles des étendards
Me saluèrent avec mélancolie.

Les gens avaient un regard fantomatique,
Perdus dans les souvenirs du passé.
Le rêve féerique impérial
Fut de nouveau évoqué.

Je pleurai, ce jour-là, et de plus en plus,
Je ne pus retenir mes pleurs,
Alors que j’entendis, cet appel disparu,
Cet appel d'amour : « Vive l'empereur! »

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