L'Allemagne: Un conte d'hiver

Caput I

Text by Heinrich Heine (1797-1856)
traduit en français par Joseph Massaad

deutsch - english

Avant-propos| Adieu | I | II | III | IV | V | VI | VII | VIII | IX | X | XI | XII | XIII | XIV | XV
XVI | XVII | XVIII | XIX | XX | XXI | XXII | XXIII | XXIV | XXV | XXVI | XXVII

Ce fut durant le triste mois de Novembre
Que, vers l'Allemagne, j'entamai mon retour.
Le vent arrachait les feuilles des arbres,
Il faisait de plus en plus sombre, chaque jour.

Et, comme j'arrivai à la frontière,
Je sentis puissamment cogner
À l'intérieur de ma poitrine, je crois même
Que mes yeux commencèrent à se mouiller.

Et dès que j'entendis parler Allemand,
Une joie étrange s'empara de moi;
Il me sembla sentir mon cœur
Saigner avec une immense joie

Une enfant chantait sur sa harpe.
Elle chantait avec de vrais sentiments
Et une fausse voix, je fus, pourtant,
Très touché par son jeux et par son chant.

Elle chantait l'amour et ses peines,
Le sacrifice et le bonheur
De se retrouver dans un meilleur au-delà,
Où disparaissent toutes les douleurs.

Elle chantait notre vallée terrestre
De larmes, la joie qui meurt,
L'au-delà, où l'âme savoure,
Radieuse, un éternel bonheur.

Elle chantait le chant du vieux renoncement,
Le tra-la-la du paradis
Avec lequel, quand il pleurniche, on assoupit
Le peuple, ce grand malappris.

J'en connais la mélodie, j'en connais les paroles,
Je connais même Messieurs les auteurs;
Je sais, qu'en secret, ils buvaient du vin
Et prêchaient l'eau à leurs auditeurs.

Je veux vous composer, mes amis,
Un chant nouveau, ce qu'il y a de mieux!
Nous voulons déjà, ici-bas sur terre,
Fonder le royaume des cieux.

Nous voulons être heureux sur terre,
Et cesser d'être dans le besoin;
Le ventre paresseux ne doit pas digérer
Le produit du dur labeur de nos mains.

Il pousse, ici-bas, pour les humains,
Assez de roses, assez de pain,
Assez de myrtes, de beauté et de joie,
Et suffisamment de petits pois.

Oui, des petits pois pour tout le monde,
Dès que les cosses auront éclaté!
Nous abandonnons le ciel
Aux moineaux, aux anges ailés.

Et s'il nous pousse des ailes à la mort,
Nous vous visiterons là-haut,
Et nous mangerons avec vous,
Des tartes célestes et des gâteaux.

Un chant nouveau, un chant meilleur!
Qui résonne comme des flûtes et des violons!
C'est la fin du miserere et, du glas funèbre,
Il ne reste plus un seul son.

La jeune Europe est fiancée
Avec le beau génie de la liberté,
Étendus, l'un dans les bras de l'autre,
Ils savourent leur premier baiser.

Le mariage est tout aussi légitime,
Même sans la bénédiction du prêtre.
Que vivent les jeunes mariés,
Et tous les enfants qui vont leur naître !

Mon chant est un hymne nuptial,
Le meilleur, le plus nouveau des hymnes!
Dans mon âme je sens se lever
Les étoiles d'une consécration sublime.

Enthousiastes, les étoiles flamboient,
Et coulent en torrents de feu.
Je me sens d'une force extraordinaire,
Je pourrais briser des chênes en deux.

Depuis que j’ai foulé le sol allemand,
Un flux magique me traverse.
Le géant a de nouveau touché sa mère,
Et a retrouvé la force de sa jeunesse.

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