L'Allemagne: Un conte d'hiver

Caput XXII

Text by Heinrich Heine (1797-1856)
traduit en français par Joseph Massaad

deutsch - english

Avant-propos| Adieu | I | II | III | IV | V | VI | VII | VIII | IX| X | XI | XII | XIII | XIV | XV
XVI | XVII | XVIII | XIX | XX | XXI | XXII | XXIII | XXIV | XXV | XXVI | XXVII

Les gens d'ici m'ont parus
Encore plus changés que la ville:
C'est comme des ruines ambulantes,
Qu'affligés et brisés, ils circulent.

Les maigres sont devenus plus chétifs,
Et les gros encore plus gras;
Les enfants ont vieillis, les vieux sont devenus
Enfantins, la plupart des fois.

Plus d'un que je laissai comme veau,
Je retrouvai grandi en taureau;
Plus d'une oiselle, jeune et sage
Fut transformée en oie au fier plumage.

Je retrouvai la vieille Gudel fardée
Et, comme une sirène, polie et luisante;
Elle s'est dotée de boucles noires
Et de dents blanches et éclatantes.

C'est mon ami le marchand de papier
Qui s'est le mieux conservé;
Sa tête, avec des cheveux jaunes autour d'elle,
C'est à celle de Jean Baptiste qu'elle rappelle.

Le ***, je ne le vis que de loin,
Alors que furtivement il s'esquivait.
J'ai ouï dire que son esprit avait brûlé
Et que c'est Bieber qui l'avait assuré.

Je revis aussi mon vieux censeur
Dans le brouillard, recourbé;
Je le rencontrai aux marché aux volailles,
Il me sembla très oppressé.

Nous nous serrâmes la main, dans l'oeil
De l'homme une larme était apparente.
Comme il se réjouit de me revoir!
C'était une scène des plus émouvantes.

Plusieurs n'étant plus de ce monde,
Je ne pus tous les retrouver.
Ah! même mon Gumpelino,
Je ne le revis plus jamais.

Le noble homme avait lui aussi rendu
Sa grande âme à Dieu. A présent, il doit
En tant que séraphin illuminé,
Flotter autour du trône de Jéhovah.

C'est en vain que je cherchai partout
Adonis le courbé, celui-ci même
Qui vendait dans les rues de Hambourg
Des tasses et pots de nuit en porcelaine.

Je ne peux pas dire vraiment
Si le petit Meyer est toujours vivant ;
Il mainquait. J’ai pourtant oublié
De m’enquérir de lui chez Cornet.

Sarras, le fidèle caniche, est mort.
Une grosse perte! Il est certain
Que Campe aurait préféré perdre
Une bonne tapée d'écrivains.

La population de l'état de Hambourg,
De mémoire d'homme est composée
De Juifs et de Chrétiens. Ces derniers aussi
N'étaient pas habitués à beaucoup donner.

Les Chrétiens sont passablement bien,
Aussi, ils mangent bien au déjeuner,
Et ils paient leurs traites ponctuellement,
Même avant le dernier délai.

Les Juifs, quant à eux, c'est en deux
Groupes qu'ils se partagent:
Les vieux vont à la synagogue,
Et au temple, ceux du nouvel âge.

Ces derniers mangent de la viande de porc,
Se montrent insoumis et sont démocrates;
Les vieux, par contre, sont d'avantage
Un mélange de galeux aristocrates.

J'aime les anciens, j'aime les nouveaux.
Mais je jure par le Dieu de l'éternité
Que j'aime encore mieux certains poissons,
On les appelle des harenguets fumés.

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