L'Allemagne: Un conte d'hiver

Caput XXI

Text by Heinrich Heine (1797-1856)
traduit en français par Joseph Massaad

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Avant-propos| Adieu | I | II | III | IV | V | VI | VII | VIII | IX| X | XI | XII | XIII | XIV | XV
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La ville, à moitié brûlée
Sera reconstruite progressivement;
Hambourg est morose et ressemble
À un caniche, tondu partiellement.

Je ne retrouve plus un tas de rues,
Qui , autrement, ne m'auraient pas manqué.
Où se trouve la maison, où j'ai donné
Le premier baiser à la bien-aimée?

Où se trouve donc l'imprimerie,
Où les «  Images de voyage » furent imprimées?
Et où se trouvent les tavernes
Où mes premières huîtres furent avalées?

Et le rempart, où est-il donc passé?
Je peux le chercher, sans résultat!
Et où est donc le pavillon,
Où j'ai mangé des gâteaux, en tas ?

Où est l'hôtel de ville, au sein duquel
Le Sénat et la bourgeoisie ont trôné?
Une proie des flammes! Les flammes n'ont pas
Epargné ce qu'il y a de plus sacré.

Les gens soupirent encore, anxieux,
Et avec un regard plein de nostalgie,
Ils me racontent l'histoire du grand feu,
Ils me parlent de l'affreuse tragédie:

«  Le feu brûlait partout à la fois,
On ne voyait que flammes et fumée!
Les clochers des églises s'élevaient, enflammés,
Et ensuite, avec fracas, s'affaissaient.

La vieille bourse est consommée,
Celle par laquelle nos pères sont passés,
Et là, où aussi honnêtement que possible,
Ils ont, des siècles durant, négocié.

Dieu soit loué! La banque nous est restée!
L'âme d'argent de notre ville,
Ainsi que les livres où sont inscrits
La valeur monétaire de chaque civil.

Dieu soit loué! On fit une collecte,
Même dans les pays les plus lointains.
Une belle affaire. La collecte rapporte
Autour de huit millions, c'est certain.

La caisse de secours fut gérée
Par de vrais pieux et chrétiens ;
La main gauche n’a jamais su
Ce qu’a encaissé l’autre main.

L'argent coula dans nos mains ouvertes,
Venant de toutes les nations,
Nous acceptâmes même des vivres,
Nous ne refusâmes aucun des dons.

On nous envoya assez d'habits et de couches,
Du pain aussi, de la viande et de la soupe!
Le roi de Prusse voulait même
Nous envoyer ses propres troupes.

Les dommages matériels furent compensés,
Ils sont faciles à estimer.
Cependant, l'épouvante, notre épouvante,
Personne ne peut nous la compenser! »

Je parlai avec encouragement: «  Chers gens,
Il ne faut pas se lamenter et pleurnicher;
Troie était une bien meilleure ville.
Pourtant, elle dut brûler.

Construisez à nouveau vos maisons,
Et desséchez ce qui est marécageux,
Et faite élire de meilleures lois,
Créez des meilleurs moyens contre le feu.

Dans vos soupes à la fausse tortue,
Ne versez pas trop de piment de Cayenne.
Vu que vous les cuisinez si grasses, avec les écailles,
Même vos carpes ne sont pas saines.

Les dindons sauvages ne vous nuisent pas trop,
Cependant méfiez-vous de la perfidie
De l'oiseau, qui pour pondre son œuf,
Utilise la perruque du maire, comme nid.

Je n'ai pas besoin de vous dire,
De quel oiseau il s'agit.
La nourriture se retourne dans mon estomac
Quand il m'arrive de penser à lui. »

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