L'Allemagne: Un conte d'hiver

Caput XX

Text by Heinrich Heine (1797-1856)
traduit en français par Joseph Massaad

deutsch - english

Avant-propos| Adieu | I | II | III | IV | V | VI | VII | VIII | IX| X | XI | XII | XIII | XIV | XV
XVI | XVII | XVIII | XIX | XX | XXI | XXII | XXIII | XXIV | XXV | XXVI | XXVII

De Harbourg à Hambourg, il fallut une heure
De voyage. Il faisait presque nuit.
Les étoiles me saluèrent, à partir du ciel,
L'air était suave et m'a rafraîchi.

Et alors que j'arrivai chez ma mère,
Elle tréssailla presque de joie;
Elle cria: «  Mon cher enfant! »
Et joignit les mains avec émoi.

«  Mon cher enfant, il y a bien treize ans,
Qui se sont entre-temps écoulés!
Tu dois sûrement avoir très faim,
Dis-moi, que veux-tu manger?

J'ai du poisson et de la chair d'oie,
Et de très belles oranges. »
«  Alors donne-moi du poisson, de la chair d'oie
Et de très belles oranges. »

Et tandis que je mangeais avec beaucoup d’appétit,
Ma mère était sereine et heureuse,
Elle me demanda de ceci, me demanda de cela,
Et parfois, des questions insidieuses.

«  Mon cher enfant! es-tu aussi
Convenablement soigné à l'étranger?
Ta femme sait-elle tenir un ménage,
Tes chemises et tes bas, sait-elle les repasser? »

«  Le poisson est bon, ma petite mère chérie,
Mais il faut le consommer sans parler;
Une arête est si vite coincée au gosier!
À présent, tu ne devrais pas me déranger. »

Ayant dévoré le brave poisson,
L'oie me fut alors servie.
Ma mère me demanda de cela, de ceci,
Des questions insidieuses aussi.

«  Mon cher enfant! dans quel pays
Vit-on le mieux? Ici ou en France?
Et auquel des deux peuples
Accordes-tu la préférence? »

«  Ma chère petite mère, l'oie allemande
Est bonne, mais les Français
Savent mieux que nous farcir les oies,
Aussi, leurs sauces sont de meilleure qualité. »

Et tandis que l'oie se fit de nouveau recommander,
Voila les oranges qui arrivent!
Elles étaient tellement douces,
Au-dessus de toute expectative!

Mais ma mère commença de nouveau
À demander, très plaisante,
De mille choses, parfois même
De choses embarrassantes.

«  Mon cher enfant! Comment penses-tu à présent ?
T'adonnes-tu toujours par vocation
À la politique? À quel parti
Appartiens-tu avec conviction? »

«  Chère petite mère, les oranges
Sont bonnes, et c'est avec un plaisir si vrai
Que j'avale leur très doux jus,
Mais les épluchures, je les laisse de côté. »

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