L'Allemagne: Un conte d'hiver

Caput VII

Text by Heinrich Heine (1797-1856)
traduit en français par Joseph Massaad

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Je partis à la maison et dormis,
Comme si les anges m'avaient bercé.
Les lits allemands sont faits de plumes,
On arrive si tendrement à s'y reposer.

Comme je languissais pour la douceur
Des tendres coussins de la patrie,
Quand je dormais sur les matelas durs
De l'exil, durant mes nuits d'insomnies!

On dort très bien et on rêve très bien
Dans les plumes de nos édredons.
Ici, l'âme allemande se sent libérée
De toutes les obligations.

Elle se sent libre et elle s'élève
Vers les plus hauts lieux du ciel.
Ô âme allemande, que ton vol est fier
Durant les rêves de ton sommeil!

Les dieux blêmissent quand tu t'approches!
Durant ta randonnée dans le ciel,
Tu as nettoyé bien de petites étoiles,
Avec les battements de tes ailes!

La terre appartient aux Français et aux Russes,
Quant à la mer, elle appartient aux Anglais.
Mais dans l'empire aériens des rêves,
Notre maîtrise est incontestée.

Ici, nous pratiquons une hégémonie,
Ici, nous demeurons absolument entiers;
C'est sur une terre plate et ferme
Que les autres peuples se sont développés

Et alors que je m'endormis, je me mis à rêver
Que, de nouveau, au clair de lune, je flanais
Le long des rues, qui résonnent à milles voix,
De la vielle Cologne d'autrefois.

Et mon compagnon noir déguisé
Continua à me suivre sur mon chemin.
Mes genoux allaient se rompre de fatigue,
Pourtant, nous continuâmes plus loin.

Nous continuâmes plus loin et, dans ma poitrine,
Mon cœur était ouvert, tout béant.
Et, à partir de la blessure dans mon cœur,
Des gouttes rouges coulèrent, abondamment.

J'y plongeai parfois le doigt,
Et il arriva quelquefois,
Que j'enduisis avec du sang
Des montants de portes sur la voie.

Et chaque fois que je marquais
Une maison, pareillement,
Une clochette funèbre tintait,
Lointaine, avec un triste gémissement.

Mais dans le ciel la lune pâlit,
Elle devint de plus en plus sombre;
Sauvages, comme des chevaux noirs,
Les nuages l'assaillirent, en nombre.

La sombre figure continua à me suivre,
Toujours avec sa hache dissimulée,
Et pendant un bon bout de temps,
Nous pousuivîmes notre randonnée.

Nous continuâmes et finalement arrivâmes
À la place de la cathédrale, de nouveau.
Les portes étant toutes grandes ouvertes,
Nous y pénétrâmes aussitôt.

Il ne régnait dans le formidable espace
Que mort et nuit. Il n'y avait aucun bruit.
Une lampe brûlait par ci, par là,
Pour bien montrer qu'il faisait nuit.

Je déambulai longtemps le long des piliers,
Et je ne pus entendre quoi que ce soit,
Sauf les pas du compagnon qui me suivait,
Ici-même, sans me lâcher d'un seul pas.

Nous arrivâmes finalement à un endroit
Où, dans la clarté des cierges,
De l'or et des pierres précieuses brillaient:
C'était la chapelle des trois rois mages.

Les trois rois mages qui, normalement,
Y reposent, si tranquilles et si sages,
Ô miracle! Maintenant ils étaient assis,
Tout droits, sur leurs sarcophages.

Trois squelettes, magnifiquement polis,
Avec des couronnes sur leurs valeureux
Crânes jaunis et qui serraient aussi
Le sceptre dans leurs doigts osseux.

Ils bougeaient, comme des pantins,
Leurs os morts, depuis longtemps .
Ils sentaient à la fois comme
De la moisissure et de l'encens.

L 'un d'eux bougea même la bouche,
Et tint un très long discours;
Il m'exposa la raison pour laquelle
Le respect était à l'ordre du jour.

D'abord, car il était mort,
Et ensuite, car il était roi,
Finalement, car il était saint.
Tout cela eut peu d'effet sur moi.

Je lui répondis avec un ironique courage:
« Il est inutile, cet empressement!
Je vois que tu appartiens au passé,
Dans tous les sens et entièrement.

Loin d'ici! La tombe profonde
Est votre demeure naturelle.
À présent la vie fait mainmise
Sur les trésors de cette chapelle.

La joyeuse cavalerie du futur devra habiter,
Ici-même dans la cathédrale, et si de bon gré
Vous ne vous pliez pas, j'userai une massue,
Et avec force, je vous ferai épouiller! »

Je parlai ainsi et me retournai,
Je vis alors le terrible clignotement
De la hache de mon accompagnateur.
Il comprit mon signe, apparemment.

Il s'approcha, et laissa sa hache
S'abattre sans la moindre pitié
Sur les pauvres squelettes de la superstition,
Qui s'affaissèrent fracassées.

L'écho des coups retentit,
De toutes les voûtes, effrayant.
Le sang jaillit de ma poitrine,
Et je me réveillai, soudainement.

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