L'Allemagne: Un conte d'hiver

Caput XXVII

Text by Heinrich Heine (1797-1856)
traduit en français par Joseph Massaad

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Ce qui a ensuite eu lieu,
Durant ce soir merveilleux,
Je vous le raconterai une autre fois,
Durant des jours d'été, moins froids.

La vielle génération d'hypocrites,
Dieu soit loué, a presque disparu!
Elle s'enfonce petit à petit dans la tombe,
C'est la maladie du mensonge qui la tue.

Une nouvelle génération est née,
Sans aucun fard, sans péché,
Avec une libre joie, une libre pensée.
C'est à elle que je vais tout annoncer.

Une jeunesse bourgeonne déjà,
Qui comprend la fierté du poète, sa bonté,
Elle vient se réchauffer sur son cœur,
Sur son âme ensoleillée.

Comme la lumière, mon cœur est amour,
Et comme le feu, il est pur et pieux.
Les cordes de ma lyre furent accordées un jour
Par tout ce qu'il y a de plus noble et gracieux.

C'est la même lyre qu'un jour
Mon père fit résonner,
Le feu sieur Aristophane,
Des muses, le bien-aimé.

C'est la même lyre sur laquelle,
Il célébra Paisteteros un jour
Celui qui courtisa Basileia
Et, avec elle, pris son essor.

Dans le dernier chapitre j'ai essayé
D'imiter, autant qu'on puisse le faire,
La fin des «  oiseaux », qui sont certainement
Le meilleur des drames de mon père.

Les «  grenouilles » sont aussi excellentes.
Traduites en Allemand, elles sont représentées
Maintenant sur la scène de Berlin,
Pour le divertissement de la royauté.

Le roi aime la pièce, cela démontre
Un bon goût pour les choses anciennes;
Le vieux était d'avantage amusé
Par le croassement des grenouilles modernes.

Le roi aime la pièce, cependant,
Si l'auteur était encore vivant,
Je ne lui conseillerais point
De se rendre en Prusse, pour l'instant.

Le vrai Aristophane, le pauvre
Aurait eu un sort des plus infâmes,
Nous le verrions bientôt accompagné
Par un chœur de gendarmes.

Le peuple aurait bientôt la permission
De rouspéter, au lieu de s'éventer, tout comme
La police recevrait l'ordre
De rechercher les gentilshommes.

Ô roi! je vais te donner un conseil,
Car c'est du bien que je te veux:
Honore les poètes qui sont morts,
Et les vivants, protège-les de ton mieux.

N'offense pas les poètes vivants,
Ils ont des flammes et des armes
Plus terribles que l'éclair de Zeus,
Zeus, que nous poètes, inventâmes.

Offense les dieux, les anciens et les nouveaux,
Toutes les canailles de l'Olympe, là-haut,
Et de surcroît, le plus grand des Jéhovah
Mais le poète, surtout ne l'offense pas!

Les dieux punissent sévèrement
Les méfaits des hommes, c'est certain,
Le feu de l'enfer est très brûlant,
On y grille bien, on y cuit bien.

Il y a pourtant des Saints
Qui arrivent à en libérer les pêcheurs ;
Par des dons à l'église, par des messes,
On obtient l'intercession du Seigneur.

Et en fin de compte, le Christ descend,
Et il brise les portes de l'enfer;
Et même si son tribunal est sévère,
Certains arrivent à s'en défaire.

Mais il y a d'autres enfers
Desquels il est impossible de se libérer;
Inutiles, demeurent toutes les prières,
Le pardon du Sauveur reste sans effet.

Ne connais-tu pas l'enfer de Dante,
Ces atroces tercets?
Celui que le poète y enferme,
Aucun Dieu ne peux le sauver.

Aucun Dieu, aucun Sauveur ne peut
Le sauver des flammes qui chantent!
Prends garde que nous ne te condamnions
Ô roi! à cet enfer de Dante.

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