L'Allemagne: Un conte d'hiver

Caput XXIV

Text by Heinrich Heine (1797-1856)
traduit en français par Joseph Massaad

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Je ne pourrais vraiment pas dire
Comment je montai l'étroit escalier;
Il se peut que d 'invisibles esprits
M'y auraient, là-haut, transporté.

Les heures passèrent très vite,
Ici, dans la chambre d'Hammonia.
La déesse reconnut la sympathie
Qu'elle éprouva toujours pour moi.

«  Vois-tu » dit-elle «  avant,
je pouvais d'avantage chérir
Le chanteur qui chantait le Messie,
Accompagné de sa pieuse lyre.

Le buste de mon Klopstock
Se trouve encore sur la commode, ici;
Cependant, depuis des années déjà
Il ne me sert que comme porte bonnet de nuit.

Tu es mon amour, à présent,
Ton portrait pend à la tête du lit;
Et vois! Une couronne de frais lauriers
Entoure le cadre du gracieux portrait.

Je dois cependant reconnaître
Que j'étais parfois profondément blessée,
Car tu grondais si souvent mes fils;
Il ne faut plus recommencer.

J'espère que le temps t'as guéri
De ces habitudes, méchantes comme tout,
Et qu'entre-temps tu as acquis
Plus d'indulgence, même pour les fous.

Mais dis-moi, qu'est-ce qui t'a pris
De vouloir voyager vers le Nord
Durant cette saison? Il fait déjà
Un temps si hivernal dehors! »

«  Ô ma déesse! » répliquerai-je,
Il y a des pensées qui au fond du cœur
De l'homme se reposent, et qui souvent
Ne se réveillent qu'à la mauvaise heure.

Je me portais assez bien à l'extérieur,
Mais j'étais opprimé à l'intérieur.
J'avais acquis le mal du pays,
Et l'oppression augmentait d'heure en heure.

L'air de France, normalement si léger
Commençait à m'oppresser;
J'ai dû venir reprendre mon souffle
En Allemagne, pour ne pas étouffer.

Je n'ennuyais de l'odeur de la tourbe,
De la fumée du tabac allemand aussi;
Mon pied tremblait d'impatience
De fouler le sol du pays.

Je soupirais la nuit, je désirais tant
Revoir la vieille dame d'antan,
Celle qui habite près du portail du barrage;
La Lottchen habite dans les parages.

Le noble vieil homme aussi,
Qui, toujours, me réprimandait,
Et qui m'abritait avec générosité ;
Quelques soupirs lui furent consacrés.

Je voulais de nouveau entendre
Sa bouche dire: «  Cet idiot gamin! »
Qui résonnait toujours dans mon cœur
Comme de la musique, comme un refrain.

Je n'ennuyais de la fumée bleue
Qui, des cheminées allemandes, s'élevait,
Des rossignols de la basse Saxe,
Des hêtres et de leurs paisibles bosquets.

Je m'ennuyais même de certaines places,
De ces stations de pénitence,
Où je traînais la croix de la jeunesse
Avec ma couronne de ronces.

Je voulais de nouveau pleurer, là où
Mes plus amères larmes furent versées.
Ce que l'on appelle amour de la patrie,
N'est que ce languissamment insensé.

Au fond, ce n'est qu'une maladie,
Je n'en parle pas volontiers.
Et c'est avec une âme honteuse,
Qu'au public, je cache mes plaies.

Ce qu'elle m'est pénible cette racaille,
Qui cible les mœurs, qui veut les toucher,
Faisant étalage de son patriotisme,
Avec tous ses abcès.

Ce sont de mesquins mendiants,
Ils ne veulent qu'une aumône,
Et pour Menzel et ses Souabes
Un sou de popularité, sans vergogne.

Ô ma déesse, tu m'as trouvé aujourd'hui
Dans un état des plus piteux;
Je suis un peu malade, prend soin de moi,
Et je redeviendrai vigoureux.

Oui, je suis malade, et tu pourrais
Bien me rafraîchir l'âme
À travers une bonne tasse de thé
Que tu devras mélanger au rhum. »

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