Mal de mer

Text by Heinrich Heine (1797-1856)
Traduit en français par Joseph Massaad 

 deutsch


Les nuages gris de l'après-midi
Se baissent d'avantage vers la mer assombrie
Qui se soulève afin de les rencontrer,
Alors que le bateau accélère sa traversée.

Pris de mal de mer, je suis toujours assis au mât
Et je médite sur mon propre cas,
Des méditations très anciennes, désolées,
Par lesquelles le père Lot est déjà passé,
Quand il abusait de trop bonnes choses,
Et se sentait mal par la suite, et pour cause.
Je pense aussi à de vieilles histoires, des fois,
Comment les pèlerins des temps anciens, marqués de croix,
Embrassaient, croyants, durant d'orageux voyages en mer,
L'effigie réconfortante de la sainte vierge-mère.
Comment, dans une pareille détresse, malades, des chevaliers
Pressaient leurs lèvres sur les gants de leur dame bien-aimée,
Et se retrouvaient aussitôt également consolés.
Moi par contre, je suis assis à mâcher avec contrariété
Un vieux hareng, le salé consolateur
Des grandes misères et des malheurs!

Entre-temps, le navire se bat avec peine
Contre l'onde sauvage qui se déchaîne;
Comme un cheval qui se cabre dans la bataille,
Il se dresse sur l'arrière avec un fracas de gouvernail ;
À présent, il s'élance vers le bas, la tête en avant,
Dans le fossé aquatique mugissant ;
Ensuite, avec une indifférente inertie d'amoureux,
Il pense vouloir se coucher de nouveau
Sur le sein noir de la vague géante
Qui déferle puissante et mugissante;
Puis soudain, une chute d'eau sauvage
S'effondre avec un blanc frisage,
Et je suis moi-même couvert de mousse.

Ces balancements, basculages et planements
Sont insupportables, absolument!
Mon œil guette et cherche inutilement
La côte allemande. Hélas! de l'eau uniquement,
Encore de l'eau, de l'eau en mouvement!

Tout comme un randonneur, un soir d'hiver, ardemment
Désire une tasse de thé chaude et fervente,
Ma chère patrie allemande,
Mon cœur lui aussi te désire!
Cependant, même si ton doux sol était couvert
De folie, de Hussards et de mauvais vers,
De termites et de pieux tracts publicitaires,
Et même si tes zèbres utilisaient, pour grossir,
À la place du chardon, des roses pour se nourrir,
Et même si tes nobles singes devaient,
Avec distinction dans d'inutiles parures, se pavaner,
Et penser dépasser largement
Toutes les bêtes à cornes qui déambulent lourdement,
Et même si tes limaces, dans leur totalité,
Pensaient vivre pour l'éternité,
Vu qu'elles rampent, loin de ce monde, si lentement,
Et même si, journellement, elles rassemblaient des voix sages
Pour décider si les asticots du fromage appartiennent au fromage,
Et qu'elles se retiraient longtemps en consultation
Sur le moyen d'ennoblir en Egypte les moutons
Afin d'améliorer leurs toisons,
Et afin que le berger puisse, sans distinction,
Comme les autres, les tondre,
Et même si la folie et l'injustice, en nombre,
Ô Allemagne! devaient entièrement te couvrir,
Malgré tout, je te désire:
Car tu es terre ferme, il n'y a rien à dire.