La petite chanson du remords

Text by Heinrich Heine (1797-1856)
Traduit en français par Joseph Massaad 

deutsch


Monsieur Ulrich chevauche dans la forêt verte,
Et gaiement, susurrent les feuillages.
D'une jeune fille, il voit la charmante silhouette
Prêter l'oreille, attentive dans les branchages.

Le jeune noble dit: " Je connais bien
Ce portrait éclatant et prospère;
Séduisant, il plane toujours sur mon chemin,
Autant dans la cohue que dans le désert.

Les lèvres comme deux petites roses,
Là-bas, sont fraîches et gracieuses;
Pourtant, maintes paroles vilaines et affreuses
S'y faufilent souvent, malicieuses.

Pour cela, cette petite bouche ressemble absolument
Au beau buisson de roses, c'est sûr,
Où de venimeux et étrangement rusés serpents,
Sifflent dans les feuillages obscurs.

Les fossettes étrangement charmantes,
Là-bas, sur les gracieuses joues,
Sont le fossé vers lequel me tente
Un désir insensé et fou.

Là-bas, je vois de beaux cheveux bouclés,
Qui pendent autour du plus beaux des visages,
Ce sont les magnifiques filets
Que le vilain utilise pour me mettre en cage.

Et cet œil bleu, là-bas pareil,
A une onde calme et claire,
Je l'avais pris pour la porte du ciel,
Mais c'était la porte de l'enfer."

Monsieur Ulrich continue à chevaucher dans le bois,
Le bruissement des feuilles est horrible,
Au loin, c'est une deuxième figure qu'il aperçoit,
D'une pâleur et d'une tristesse, indicibles.

Le jeune noble parle: " Là-bas, ô mère,
Qui m'a aimé si maternellement,
Moi, qui par le mal que j'ai pu dire ou faire,
Lui ai troublé la vie si amèrement!

O, si je pouvais sécher tes yeux mouillés,
Avec la braise de mes douleurs!
Et tes joues blêmes, colorier,
Avec le sang de mon cœur!"

Et Monsieur Ulrich chevauche toujours,
Dans la forêt, il commence à faire sombre,
Les vents du soir chuchotent tout autour,
Des voix étranges s'agitent en nombre.

Ce sont ses propres paroles que le cadet perçoit,
Qui , à maintes reprises, résonnent avec écho.
C'est ce que firent les oiselets moqueurs des bois,
Qui gazouillent et qui chantent tout haut:

"Monsieur Ulrich chante un chant charmant,
La petite chanson du remords,
Et à peine a-t-il terminé son chant,
Qu'il le rechante, une fois encore."