Le pauvre Pierre

Text by Heinrich Heine (1797-1856)
Traduit en français par Joseph Massaad 

deutsch - english

I

Jean et Marguerite dansent tous les deux,
Ils sont heureux, ils sont gais.
Pierre est immobile et silencieux,
Son visage est pâle comme de la craie.

Jean et Marguerite sont nouveaux mariés,
Pimpants, dans leur habit nuptial;
Le pauvre Pierre se mord les doigts, affligé,
Il porte son habit de travail.

Pierre parle tous bas, l'air misérable,
En regardant les deux époux:
" Ah! dit-il, si j'étais moins raisonable,
J'aurais commis un acte fou! "

II

" Dans mon sein vit une douleur
Qui ferait éclater ma poitrine,
Et toujours elle me pousse ailleurs,
De l'endroit où je m'achemine.

Elle m'entraîne vers ma bien-aimée,
Comme si Marguerite pouvait me guérir.
Mais, à peine nous sommes-nous regardé,
Qu'une force invisible me fait fuir.

Je monte la colline jusqu'à l'arête,
Personne ne vous dérange, là-haut,
Et quand j'y suis arrivé, je m'arrête,
Et puis mes larmes coulent à flots. "

III

En chancelant, l'air pâle, appeuré,
A pas lents avance le pauvre Pierre.
Les passants pensent presque s'arrêter,
Le voyant chanceler de cette manière.

Les filles se chuchottent entre elles:
" Voici un qui de la tombe vient de sortir."
" Hélas! aimables jeunes filles, rien de tel,
Il est plutôt sur le point d'y partir!

Il a perdu son trésor, pour cela,
Le tombeau est le plus indiqué:
Il poura s'y entendre et dormira
Jusqu'au jour du jugement dernier. "