Le roi Maure

Text by Heinrich Heine (1797-1856)

Traduit en français par Joseph Massaad 

 deutsch - english


Le jeune roi Maure chevaucha
Silencieux et l'âme en peine,
Vers son exil dans l'Alpajarra,
À la tête de la colonne.

Derrière lui, dans de hautes haquenées,
Ou sur des chaises à porteurs dorées,
On voit les femmes de son foyer s'asseoir;
Des mulets portent des femmes noires.

Le suivant sur de nobles moraux arabes,
Il y a bien cent serviteurs fidèles;
Pourtant, malgré le fierté des chevaux,
Ils déambulent, branlants, sur leurs selles.

Aucune cymbale, aucun tambour,
Aucun chant ne retentissent;
Il n'y a que les clochettes d'argent des mulets,
Qui, dans le silence, péniblement gémissent.

Sur le hauteur, où la vallée de Duero
Peut être, du regard, balayée,
Et de laquelle les pinacles de Grenade,
Peuvent, pour la dernière fois, être observées:

Là, le roi descendit de son cheval,
Et contempla, dans la lueur du soir,
La ville qui brillait,
Comme garnie de pourpre et d'or.

Mais Allah! Quelle vision!
À la place des croissants qui nous sont chers,
Ce sont les croix d'Espagne et ses bannières ,
Qui, des tours d'Alhambra, s'élancent en l'air.

Hélas! À cause de cette vision, des soupirs
Emanèrent de la poitrine du roi Maure,
Des larmes soudainement coulèrent,
Sur ses joues, en flots bien forts.

La mère du roi lance vers le bas,
Un regard sombre, à partir de sa haquenée;
Elle observe la misère de son fils
Et l'apostrophe avec amertume et fierté:

«  Boabdil el Chico », dit-elle,
« Tu pleures maintenant comme une femme
Pour cette ville que tu n'a pas su
Défendre comme un homme. »

Quand la concubine favorite du roi
Entendit ces paroles et leur dureté,
Elle se jeta de sa chaise,
Et enlaça son bien-aimé.

«  Boabdil el Chico », dit-elle,
« Console-toi, mon bien-aimé,
De l'abîme de ta misère,
Pousse et fleurit un beau laurier.

Non seulement le triomphateur,
Non seulement le couronné de victoire,
Le favori de cette aveugle déesse,
Mais aussi le fils sanguinaire du malheur,

Ainsi que le guerrier héroïque
Qui succomba au monstrueux destin,
Lui aussi vivra éternellement
Dans la mémoire des humains.»

«  Mont du dernier soupir Maure »  
Est jusqu'à je jour le nom que l'on donna
À cette hauteur, où le roi
Vit Grenade pour la dernière fois.

Le temps a rempli aimablement
La prophétie de sa bien-aimée,
Et le nom du roi Maure,
Fut glorifié, fut célébré.

Sa renommée ne s'éteindra jamais,
Pas avant, qu'avec grincement et bruit,
La dernière corde ne se soit brisée,
De la dernière des guitares d'Andalousie.