Chants de louange au roi Ludwig

Text by Heinrich Heine (1797-1856)

Traduit en français par Joseph Massaad 

deutsch


I

Il n'y a pas beaucoup comme lui:
Il s'agit de Herr Ludwig de Bavière ;
C'est en tant que roi bègue héréditaire
Que le peuple Bavarois le vénère.

Il aime les arts, et les plus belles femmes
Posent pour leurs portraits;
Et  dans ce sérail de peintures, il aime
En tant qu'artiste énuque, se promener.

Près de Regensbourg, il fit construire,
Faite de marbre, une Golgotha.
Et c'est de sa propre main,
Que chaque crâne, il étiqueta.

«  Les compagnons de Valhalla », une pièce de maître,
Dans laquelle il loue le caractère, même infâme,
Les mérites et les accomplissements
De chacun, de Teut à Schinderhannes. 

Il n'y a que Luther, l'entêté qui manque à Valhalla,
La paperasse de Valhalla ne  célèbre pas son nom;
Dans les collections d'histoire naturelle,
Les baleines manquent souvent de la section des poissons.

Herr Ludwig est un grand poète,
Et quand il chante, Apollon tombe à genoux
Devant lui, il  l'implore et le supplie:
«  Arrête! sinon, je deviens fou! »

Ludwig est un héros courageux,
Et Otto son fils, de même.
Il a sali son petit trône,
Quand il eut la diarrhée à Athènes.

Si Herr Ludwig devait mourir un jour,
Le saint Père à Rome le canoniserait.
C'est comme des manchettes pour notre chat,
Qu'à une face pareille, l’auréole irait!

Dès que les singes et les kangourous se seront
Convertis au Christianisme, ils honoreront
Sans aucun doute, Saint Ludwig,
En tant que le leur Saint patron.

II

Herr Ludwig de Bavière
Parla à lui-même avec un soupir:
«  L'été s'efface, l'hiver approche,
Les feuilles continuent à jaunir.

Le Schelling et le Cornelius
Peuvent bien partir d'ici;
L'un a perdu le raison,
Et l'autre, la fantaisie.

Mais que l'on ait volé
Les meilleures perles de ma couronne,
Que l'on m'ait privé de Maßmann,
Mon maître gymnaste, une perle d'homme,

Ceci m'a courbé, ceci m'a brisé,
Ceci m'a fendu l'âme en deux;
Cet homme me manque, qui avec son art
A escaladé les plus hauts lieux.

Je ne vois plus les petites jambes,
Je ne vois plus le nez aplati;
Il faisait la culbute sur l'herbe,
Comme un caniche, gaillard, libre, réjoui.

Le patriote ne comprenait que le vieil allemand,
Jacob-Grimmisch et Zeunisch, uniquement;
Les mots étrangers lui étaient étrangers,
Le grec et le latin, particulièrement.

Par patriotisme, il ne buvait
Que des glands de chêne, comme café,
Il bouffait du français et du fromage de Limbourg,
Et, après ce dernier, il puait.

Ô beau-frère! rends-moi mon Maßmann!
Car, parmi toutes sortes de têtes,
Sa tête est celle que je suis moi-même,
Un poète parmi les poètes.

Ô beau-frère! garde le Cornelius,
Et le Schelling aussi ( Que tu aies
Gardé le Rückert, ça se comprend )
Ah! Si seulement Maßmann revenait!

III

Une belle Madone se tient debout,
Au château de Munich, dans la chapelle;
Elle tient son petit Jésus dans les bras,
La joie de l’univers et celle du ciel.

En regardant la statue sainte,
Le roi Ludwig de Bavière
S’agenouilla avec dévotion,
Et ravi bégaya cette prière :

«  Marie, reine du ciel,
Toi, souveraine immaculée
Tes domestiques sont des saints,
Et tes serviteurs, des anges ailés.

Des pages ailés s’occupent de toi,
Ils tressent des fleurs et des rubans
Dans tes cheveux dorés, derrière toi
Ils portent la traîne de tes vêtements.

Marie, pure étoile du matin,
Toi, lis pur et immaculé,
Tu es la cause de tant de prodiges,
De tant de miracles de piété.

Ô, laisse-moi aussi recevoir,
Du puits de ta grâce, une petite goutte !
Fais-moi un signe de ta faveur,
La plus louée parmi toutes ! »

La mère de Dieu bouge aussitôt,
Sa petite bouche bouge visiblement,
Elle secoue avec impatience la tête,
Et dit à son petit enfant :

«  Quelle chance que je te porte
Sur le bras, et non plus dans le ventre.
Quelle chance que je n’ai plus besoin
De craindre d’enfanter un monstre.

Si j’avais durant ma grossesse
Regardé cet imbécile odieux,
J’aurais certainement enfanté un monstre,
Au lieu de donner naissance à un Dieu. »