Je révai que j'étais l'bon Dieu

Text by Heinrich Heine (1797-1856)
Traduit en français par Joseph Massaad 

deutsch - english


Je révai que j'étais l'bon Dieu,
Trônant, là-haut au Paradis,
Et que, assis autour de moi,
Des anges louaient ma poésie.

Et je mangeais de bons gâteaux,
D'une valeur de plusieurs florins,
Et, en Cardinal, je buvais,
Sans devoir absolument rien.

Mais l'ennui s'empara de moi:
Que je préfère la terre aux cieux!
J'aurais voulu être le diable,
Si je n'étais pas le bon Dieu.

Ange Gabriel, aux longues jambes,
Dépêche-toi vite, va-t-en d'ici,
Va vers mon cher ami Eugène,
Ramène-le moi au Paradis.

Ne le cherche pas au collège,
Mais là oû un bon vin se sert,
Non plus à l'église de Ste Hedwig,
Mais chez Mademoiselle Meyer.

L'ange étend alors ses deux ailes,
Et il s'envole, et il descend,
Il s'empare de mon cher ami,
Et me ramène le cher enfant.

Et oui! petit, je suis l'bon Dieu,
Et je régis l'univers entier,
Je t'ai promis qu'un jour viendrait,
Où j'atteindrais de hauts sommets.

Je fais des miracles tous les jours,
De quoi te charmer, sans fin,
Et pour t'amuser aujourd'hui,
Je ravirais bien Berlin.

Les pavés de toutes les chaussées
Vont à présent se fendre,
Et chaque pavé va contenir
Une huître fraîche et tendre.

Une pluie de jus de citron
Les couvrira, comme une rosée,
Et dans chaque rue coulera
Un vin rhénan, des plus prisés.

Les Berlinois se réjouissent tant!
Ils se mettent déjà à bouffer,
Et les conseillers juridiques,
Dans les caniveaux, à se soû ler.

Comme les poètes se réjouissent,
D'un divin festin pareil!
Les lieutenants et les enseignes
Lèchent la voie qui ruisselle.

Les lieutenants et les enseignes
Sont les plus intelligents,
Ils pensent que de pareils miracles,
Ne se passent pas bien souvent.