L'empereur de Chine

Text by Heinrich Heine (1797-1856)
Traduit en français par Joseph Massaad 

 english - deutsch


J'avais un sec balourd comme père,
Un poltron, pas du tout buveur,
Moi par contre, c'est l'eau-de-vie que je préfère
Et je suis un grand empereur.

C'est une boisson magnifique!
J'ai découvert, au fond du cœur,
Qu'en buvant cette eau-de-vie magique,
La Chine est toute en fleur.

L'empire du milieu aussitôt se transforme
En un pâturage de fleurs,
Je deviens, moi-même, presque homme,
Ma femme procrée un empereur.

Tous les malades guérissent,
Il y a de l'abondance dans l'air;
Quant à mon conseiller Confucius,
Ses pensées deviennent plus claires.

Le pumpernickel du soldat
Devient du gâteau aux amandes - Oh joie!
Tous les gueux de mon état,
Se pavanent en velours et en soie.

Les chevaliers Mandarins,
Les têtes handicapées,
Retrouvent leur jeune entrain
Et secouent leurs cheveux tressés.

La grande pagode est achevée,
Asile et symbole de la foi;
Les derniers Juifs s'y font baptiser:
C'est l'Ordre du Dragon qu'ils y reçoivent.

Il s'est éteint, l'esprit de la révolution,
Et les plus nobles Mandchous parlent sur ce ton :
Nous ne voulons plus de constitution,
Nous voulons le fouet et le bâton!

Les disciples d'Esculape peuvent bien
Me déconseiller de boire,
Moi, je bois mon eau-de-vie, j'y tiens!
Pour le bonheur de mon territoire.

De l'eau-de-vie, encore, c'est ce que je veux!
Ça a le goût de la manne pure, c'est délicieux!
Mon peuple a aussi son colza, il est heureux
Et jubile: Hosanna au plus haut des cieux!