Hortense

Text by Heinrich Heine (1797-1856)

traduit en français par Joseph Massaad

deutsch


1

Je croyais jadis que tous les baisers,
Q'une femme nous donne et prend,
Nous étaient prédestinés,
Depuis le début des temps.

Je donnai des baisers et j'en pris,
Avec tant de sérieux, naguère,
C'est comme si j'avais accompli,
Des actes tout à fait nécessaires.

Maintenant, je sais que le baiser,
Comme tant de choses, est inutile,
Et j'embrasse sans compter,
Sans croyance, le cœur tranquile.

2

Debout, au coin de la rue,
Pendant bien plus d'une heure,
Nous parlâmes avec tendresse
De l'union de nos deux cœurs.

Nous nous dîmes plus de cent fois,
Que nous nous aimions mutuellement,
Debout, au coin de la rue,
Nous restâmes pour quelque temps.

La déesse de l'Opportunité, agile
Comme une jeune fille, d'un air serain,
Passa devant nous, nous vit debout,
Puis, en riant, poursuivit son chemin.

3

Durant mes rêves, le jour,
Durant mes réveils, la nuit,
Ton rire si plaisant résonne
Toujours dans mon esprit.

Te souviens-tu de Montmorency,
Alors que tu montas un ânon,
Et, que du haut de la selle,
Tu tombas dans les chadrons?

Se tenant tranquille,l'ânon
Se mit a bouffer les chadrons;
Je garderai toujours le souvenir,
De ce plus plaisant des rires.

4

Elle parle:

Dans un jardin, sur un arbre,
Il y a une pomme qui pend,
Et, autour d'une branche,
Se love un serpent;
Jamais je ne pourrai détourner
Mon regard de ses doux yeux;
Je suis charmé par son sifflement,
Qui promet des jours heureux!

L'autre parle:

Pour la vie, ceci est un pain,
Goûte à sa douceur, ma chère,
Afin que ce ne soit pas en vain,
Que tu aies véçu sur terre!
Douce colombe, belle enfant,
Goûte-y donc, sans frémir,
Suis mon conseil et crois en,
Ce que ta sage tante veut dire.

5

Sur une cithare, nouvellement accordée,
Je joue de nouvelles mélodies.
Le texte est vieux! Ce sont les paroles
De Salomon: « La femme est aigrie. »

Elle est aussi déloyale à ses amis,
Qu'à son mari, sans aucun doute;
Dans le calice d'or de l'amour,
Elle son amères, les dernières gouttes.

Ainsi, serait-elle vraie cette légende,
Selon laquelle nous serions maudits,
A cause du péché, préparé par le serpent,
Comme il est dit dans les vieux écrits?

Dans tous les buissons, le serpent
Rampe sur ventre, et t'épie calmement,
Et, si comme jadis, il flirte avec toi,
Tu écoutes volontiers son sifflement.

Hélas, il se fait sombre, il se fait froid!
On voit les corbeaux croasser et voltiger
Autour du soleil. L'amour et la joie
Sont, depuis longtemps enterrés.

6

Je ne fus pas trompé longtemps
Par ce mensonger bonheur;
Ton image est comme un faux rêve,
Qui a traversé mon cœur.

Le jour se leva, le soleil brilla,
La rosée s'est dissipée;
Nous avions déjà terminé,
Avant même d'avoir commencé.