Text by Heinrich Heine (1797-1856)
Traduit en français par Joseph Massaad
Le livre d'histoire peut être sujet à
diverses interprétations. Deux points de vue totalement opposés sont particulièrement
à noter. - Les uns voient dans toute chose terrestre un cycle désolant; dans la vie des
peuples comme dans la vie des individus, dans cette dernière, comme dans la nature
organique en général, ils voient une croissance, une floraison, une flétrissure et une
mort: le printemps, l'été,l'automne et l'hiver." Il n'y a rien de neuf sous le
soleil " est leur adage; Et même ceci n'est pas nouveau, vu qu'il a déjà été
prononcé par un roi Levantin il y a deux mille ans. Notre civilisation leur fait hausser les épaules, étant finalement destineé à succomber de nouveau à la barbarie; Ils secouent leurs têtes devant nos luttes pour la liberté et qui en fin de compte ne feront que favoriser l'avènement de nouveaux tyrans; Ils sourient devant tous nos efforts ayant pour but un enthousiasme politique qui rendrait ce monde meilleur et plus heureux et qui finalement ne porte aucun fruit; - dans cette chronique réduite d'espoirs, de besoins, d'adversités, de peines et de joies, d'erreurs et de déceptions avec laquelle l'être humain consomme sa vie, dans cette histoire de l'individu, ils voient aussi l'histoire de l'humanité. En Allemagne, les philosophes de l'école d'histoire ainsi que les poètes de l'époque culturelle de Wolfgang Goethe sont tout à fait adeptes à ce point de vue, et en fin de compte manifestent une indifférence sentimentale à l'égard de toute entreprise politique nationale d'enjoliver les choses. Un gouvernement suffisament connu de l'Allemagne du Nord sait particulièrement bien apprécier ce point de vue, il favorise le voyage d'honnêtes hommes, afin de développer en eux, dans le cadre des ruines élégiaques de l'Italie des idées confortables d'apaisement et de fatalisme; idées qui plus tard avec la participation de prédicateurs de soumission chrétienne et avec l'aide de sobres articles de presse pourront atténuer la poussée de fièvre révolutionnaire,de courte durée du peuple. En outre, que celui qui ne puisse de par sa propre force spirituelle s'élancer vers la haut, rampe au sol. L'avenir va enseigner à ce gouvernement en question à quoi mènent les entortillements et les intrigues. A ce point de vue, plutôt fatal et fataliste, mentionné plus haut, s'oppose un autre plus positif, d'avantage apparenté à l'idée d'une Providence et selon lequel toutes choses terrestres sont destinées à se perfectionner et que les grands héros ainsi que les époques héroïques ne sont que des étapes intermédiaires vers un état plus sublime, à l'image de Dieu de la race humaine dont les combats politiques et moraux aboutissent finalement à la plus sainte des paix, à la plus pure des fraternités et à une éternelle félicité. L'age d'or, semble-t-il, ne se trouve pas derrière nous mais devant nous; nous ne fûmes pas chassés du paradis par une épée de flammes, nous devons cependant le conquérir avec un coeur enflammé,à travers l'amour; le fruit de la science du bien et du mal ne nous donne pas la mort mais la vie éternelle. - " Civilisation " fut longtemps la devise des disciples de ce point de vue. En Allemagne l'école humanitaire lui rendit particulièrement hommage. Il est bien connu que la soi-disant école de philosophie en a fait son but avec certitude. Elle était particulièrement favorable à l'examen des questions politiques et comme ultime fruit de cette idée on prêche une forme d'état idéal, entièrement basée sur des principes de raison et qui devrait, en dernière instance ennoblir et ravir l'humanité. - Il ne m'est pas nécessaire de nommer les champions exaltés de ce point de vue. Leur haute aspiration est en tous cas plus réjouissante que les entortillements des basses vrilles; Si nous devions un jour lutter contre eux, nous le ferions avec la plus valeureuse et noble des épées, tandis qu'un valet rampant peut être expédié avec le knout familier. Ces deux opinions, telles que je les ai présenté, ne concordent pas bien avec les émotions les plus vibrantes de notre vie; d'une part, nous ne voulons pas être éxaltés pour rien et parier ce qu'il y a de plus sublime sur ce qui est vain et éphémère. D' autre part, nous voulons que le présent retienne sa valeur et qu'il ne serve pas uniquement comme moyen ayant comme fin le futur. Et en effet nous nous sentons destinés à quelque chose de plus important que de simplement vouloir nous considérer comme un moyen à une fin; Il va sans doute nous sembler comme si fin et moyen ne sont que des concepts conventionnels ruminés par l' homme dans la nature et dans l' histoire et dont le Créateur n'en savait rien, vu que chaque création a son but propre à elle, que chaque événement se conditionne lui-même et que tout, même l' univers est là par lui-même et se passe. - La vie est un droit. La vie veut faire valoir ce droit, face a la mort pétrifiante, face au passé et cette validation est la révolution. L' indifférence mélancolique des historiens et poètes ne devrait pas paralyser notre énergie concernant ces affaires. L' enthousiasme des prédicateurs de bonne fortune ne devrait pas nous mener à mettre en jeu les intérêts du présent et le droit humain le plus soutenable, le droit à la vie. - " Le pain est le droit du peuple " , a dit St Just, et ceci est la parole la plus sublime qui ait été prononcée durant toute la révolution. |