À l'étranger

Text by Heinrich Heine (1797-1856)
Traduit en français par Joseph Massaad 

deutsch - english


I

Tu te laisses traîner d'endroit en endroit,
Sans même savoir pourquoi;
C'est un mot doux que le vent t'envoie,
Et tu regardes surpris autour de toi.

L'amour qui resta là-bas, sur place,
T'appelle de revenir, avec douceur:
Ô, reviens, je t'aime, je me lasse,
Tu es mon unique bonheur!

Avance plus loin, sans concevoir
Un seul instant de te reposer.
Tu ne devras jamais plus revoir
Ce que tu a tellement aimé.

II

Aujourd'hui le chagrin t'afflige tellement,
Comme je ne t'ai vu depuis longtemps.
Sur tes joues des larmes perlent tranquillement,
Et tes soupirs deviennent bruyants.

Penses-tu au pays qui, si loin,
Dans le nébuleux lointain a disparu d'ici?
Avoue-le moi, tu serais bien
Resté parfois dans la chère patrie.

Penses-tu à la dame qui, pleine de charme,
Avec sa petite colère, te divertissait?
Souvent tu t'irritais, elle devenait calme,
Et c'était elle qui, en dernier lieu, riait.

Penses-tu aux amis qui, à la grande heure,
Sur ta poitrine, faisaient tomber leurs têtes?
Les pensées tempêtaient dans ton cœur,
Pourtant ta bouche restait muette

Penses-tu à ta mère et à ta sœur?
Avec toutes les deux, tu arrivais à bien t'entendre.
Je crois même que dans ta poitrine, mon cher,
Ton courage effréné commence à fondre!

Penses-tu aux arbres et aux oiseaux
Du beau jardin où, si souvent,
Tu rêvais les rêves d'un amour nouveau,
Où tu hésitais, où tu espérais tant?

Il est déjà tard, la nuit est claire
De la clarté trouble d'une neige mouillée.
Je dois vite m'habiller, et ne peux rien faire
Que de me rendre, hélas, en société!

III

J'avais jadis une belle patrie.
Le chêne y poussait si haut,
Les violettes y saluaient, attendries.
C'était un rêve, un rêve si beau.

On m'embrassait en allemand, on me disait en allemand
( Et ils résonnaient si charmants,
On peut à peine y croire ) les mots: " Je t'aime!."
C'était un rêve quant même.