Fiancées célestes

Text by Heinrich Heine (1797-1856)
Traduit en français par Joseph Massaad 

deutsch - english

Celui qui passe près du couvent,
Vers minuit, voit ses fenêtres
Flamboyer: des revenants
Sont sur le point d'apparaître.

C'est la morne procession
Des fantômes des Ursulines;
Encore belles, sous leur capuchons,
Elles lancent des œillades coquines.

Elles portent en main des cierges,
Aux reflets rouges et macabres;
C'est bien étrange que résonnent
Leurs soupirs et leurs palabres.

Elles avancent vers les bancs de buis,
Au sortir de la chapelle,
Ensuite les nonnes s'y installent
Pour chanter les hymnes rituelles.

Les paroles sont folâtres,
Même si l'air est solennel;
Ce sont de pauvres âmes perdues,
Qui frappent aux portes du ciel.

" Nous étions les fiancées du Christ,
Mais les plaisirs de cette terre,
Nous firent donner à César
Ce qui revient à Dieu le Père.

Car l'uniforme est bien charmant,
Une moustache qui brille, plus encore;
Mais chez César le plus charmant,
Ce sont ses épaulettes d'or.

Ce front qui, pour nous racheter,
Une couronne d'épines a subi,
D'un bois de cerf fut décoré:
Notre Sauveur fut trahi.

Jésus, qui est la bonté même,
Tristement, pour nos péchés,
Pleura et dit: " Soyez maudites,
Et que vos âmes soient damnées!"

Il nous faut, quand minuit arrive
Sortir du tombeau pour errer,
Spectres repentis, entre ces murs.
Miserere! Miserere!

If fait bon dormir dans la tombe,
Mais bien meilleur encore serait
La tiédeur du ciel divin.
Miserere! Miserere!

Doux Jésus, pardonne enfin,
Quoique grave, notre péché,
Et reçois-nous dans ton royaume.
Miserere! Miserere! "

C'est ainsi que chantent les nonnes,
Et un sacristain bien mort
De ses mains osseuses joue sur l'orgue
Qui gronde et qui crie bien fort.