Mon sang, qu'a-t-il à s'agiter ainsi?

Text by Heinrich Heine (1797-1856)
Traduit en français par Joseph Massaad

deutsch - english


Mon sang, qu'a-t-il à s'agiter ainsi?
Mon cœur, pourquoi flambe-t-il avec folie?
Mon cœur écume, en pleine ébulition,
Consommé par une démente passion.

Mon sang s'affolle, il écume tout bouillant,
Après avoir rêvé un rêve méchant:
Le sombre fils de la nuit est arrivé,
Et, le souffle coupé, m'a emmené.

Il m'emmena dans une maison bien claire
Où, au son des harpes, on faisait bonne chaire,
Et, où des torches et des chandelles brillaient.
J'arrivai à une salle, j'y suis entré..

On fêtait là un bien joyeux marriage,
Avec, autour des tables, de gais visages.
Je regardai les nouveaux mariés,
Hélas! Ma belle était la mariée!

Elle était là, éclatante de beauté,
Et son élu était un étranger.
Je me glissai vite derrière les époux,
Et, silencieux, je restai là, debout.

La musique bruissait, mais je restai calme,
Le cœur peiné par ce joyeux vacarme.
Le regard de l'épouse sembla si serain,
Quand son époux chéri lui pressa la main.

Le marié remplit sa coupe de vin,
Il y boit, puis la passe, tendant la main,
A sa femme. Elle remercie et elle boit.
Hélas! C'est mon sang rouge qu'elle a bu là!

Puis la femme, à son cher époux, présente
Une jolie petite pomme appétissante.
Il prend son couteau et la coupe en deux.
Hélas! Il s'agit de mon cœur malheureux!

Ils se regardent longtemps, les yeux en flammes.
Avec audace, l'époux enlace sa femme,
Et, sur sa joue rouge, il pose un baiser
Hélas! C'est la mort qui m'a embrassé!

Dans ma bouche, ma langue est lourde comme du plomb
Et ne peut plus émettre le moindre des sons.
La musique annonce que la danse commence,
Et sur la piste le brillant couple avance.

Et je restai là, comme un mort, muet,
A regarder les danseurs voltiger.
Il lui chuchotte un petit mot tout bas,
L'épouse rougit, mais ne le gronde pas.