Atta Troll. Songe d'une nuit d'été

Text by Heinrich Heine (1797-1856)
Traduit en français par Joseph Massaad 

Caput V - deutsch

Avant-propos | I | II | III | IV | V | VI | VII | VIII | IX | X | XI | XII | XIII | XIV | XV
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Atta Troll gît sur le dos, l'âme en peine,
Au milieu de sa famille, dans la tanière;
Il est pensif et suce ses pattes,
Il les suce et gronde de cette manière:

«Mumma, Mumma, perle noire,
Je t'ai péché dans la mer de la vie,
Et c'est aussi dans la mer de la vie,
Que je tu es de nouveau repartie!

Ne vais-je jamais plus te revoir,
Ou, vais-je, outre-tombe, te retrouver,
Là où, libérée de sa touffe terrestre,
Ton âme sera transfigurée?

Ah! avant tout, je voudrais, une fois de plus,
Lécher le gracieux museau de ma belle,
Le museau de Mumma, qui est si doux,
Comme s'il était garni de miel!

Je voudrais aussi renifler, une autre fois,
Cette odeur, qui est une chose
Particulière à ma chère Mumma noire,
Et aussi agréable qu'un parfum de roses!

Mais hélas! la Mumma languit
Dans les chaînes de cette race immonde,
Qui porte le nom d'homme,
Et qui se croit le maître du monde.

Mort et damnation! ces archi-aristocrates,
Tout le genre humain,
Regarde le monde animal tout entier,
De haut, avec effronterie et dédain,

Ils nous volent nos femmes et nos enfants,
Nous enchaînent, nous font des injures,
Ils nous tuent même, afin de bazarder
Nos cadavres et nos fourrures!

Et ils pensent avoir le droit
De pratiquer de tels actes malsains,
Surtout à l'encontre des ours,
Et ils appellent cela : le droit humain!

Droits humains! Droits humains!
Ces droits, qui vous les a-t-il conféré?
La nature ne l'a jamais fait,
Et pourtant, elle n'est pas dénaturée.

Droits humains! Ces privilèges,
Qui vous les a-t-il conféré?
Assurément, ce ne serait jamais le raison,
Elle n'est donc pas si insensée!

Hommes, seriez-vous quelque peu
Meilleurs que nous autres,
Car vos repas sont bouillis ou rôtis?
Nous bouffons crus les nôtres,

Mais le résultat est, en fin de compte,
Le même. Non, ce qui anoblit,
Ce n'est pas la nourriture. Il n'est noble
Que celui qui se sent noble, et en noble, agit.

Hommes, seriez-vous quelque peu meilleurs
Car c'est avec succès que vous pratiquez
La science et les arts? Nous autres,
Ce n'est pas sur la tête que nous sommes tombés!

N'y a-t-il pas des chiens savants?
Ou bien des chevaux sachant
Compter comme des commerçants? Les lièvres
Ne tambourinent-ils pas excellemment?

Maints castor ne se seraient-ils pas,
En hydrostatique, distingués brillamment?
Et ne devons-nous pas aux cigognes,
La découverte des lavements?

Les ânes, ne rédigent-ils pas des critiques?
Les singes, ne jouent-ils pas la comédie?
Et qui battrait Batavia, la guenon,
En matière de singeries?

Les rossignols, ne chantent-ils pas?
Freiligrath, ne serait-il pas poète?
Qui pourrait mieux célébrer le lion,
Que le chameau, son compatriote?

Autant que Rauner dans l'art d'écrire,
Dans l'art de la dance, j'ai excellé.
Ecrit-il mieux, que moi l'ours,
Quand il m'arrive de danser?

Hommes, pourquoi seriez-vous meilleurs
Que nous autres? Il va de soi
Que votre tête est droite, mais dans cette tête,
Les idées rampent au plus bas.

Hommes, seriez-vous quelque peu meilleurs
Que nous autres, car vous êtes lisses et brillants
De par votre peau? Ceci est un avantage,
Que vous devriez partager avec les serpents.

Peuple humain, serpents à deux pattes,
Je comprend, à quelle raison utile,
Vous portez des pantalons! La laine étrangère
Vous sert à cacher votre nudité de reptile.

Mes enfants! méfiez-vous donc
De cette monstruosité sans poils!
Mes filles! ne faites pas confiance
A qui porte un pantalon, sans être animal! »

Je ne vais plus davantage,
Raconter comment l'ours a raisonné
Sur la race humaine durant
Son effronté radotage sur l'égalité.

Car finalement, je suis moi-même homme,
Et je ne répéterai jamais
Toutes ces sottises,
Qui ne font qu'offenser!

Oui, je suis homme, je suis meilleur
Que les autres mammifères;
Je ne vais jamais plus désavouer
Mes avantages héréditaires.

Et, dans la lutte contre d'autres bêtes,
Je me battrai toujours avec loyauté
Pour l'humanité, pour les droits humains,
Qui nous sont congénitaux et sacrés.

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