Atta Troll. Songe d'une nuit d'été

Text by Heinrich Heine (1797-1856)
Traduit en français par Joseph Massaad 

Caput XXV - deutsch

Avant-propos | I | II | III | IV | V | VI | VII | VIII | IX | X | XI | XII | XIII | XIV | XV
XVI | XVII | XVIII | XIX | XX | XXI | XXII | XXIII | XXIV | XXV | XXVI | XXVII

Trente trois vieilles bonnes femmes,
Le capuchon écarlate rouge
De la vieille mode basque sur la tête,
Se tenaient debout, à l'entrée du village.

Une parmi elles, comme Débora,
Battait le tambour en dansant,
Et chantait les louanges de Laskaro,
Le tueur d'ours, ce faisant.

L'ours mort était porté en triomphe
Par quatre hommes de poids;
Il était assis, tel un baigneur malade,
Sur un fauteuil, bien droit.

A l'arrière, Laskaro avançait
Avec Uraka, comme si apparentés
Au défunt. Cette dernière saluait
A droite, à gauche, mais très embarrassée.

Quant l'hôtel de ville fut atteint
Par le cortège, durant son parcours,
C'est de maintes choses que le maire adjoint
Parla au cours de son discours,

Comme, par exemple de l'essor
De la marine, de la presse, ainsi
Que de la betterave fourragère,
Et de l'hydre de la passion des partis.

Les mérites de Louis Philippe,
Ayant été richement exposés,
Il finit par passer à l'ours,
Et à l'exploit que Laskaro a achevé.

« O Laskaro! O Laskaro! »
Cria l'orateur,
Et il utilisa l'écharpe tricolore,
Pour s'essuyer la sueur.

« Toi, à qui la France et l'Espagne
Te doivent d'être libérées
D'Atta Troll. Tu es héros des deux pays,
Une sorte de LaFayette des Pyrénées! »

Tandis que Laskaro se vit
Officiellement célébré ainsi,
Satisfait, dans sa barbe, il rit
Et, par excès de joie, il rougit,

Et, avec des sons incohérents,
Qui s'entrechoquèrent bizarrement,
Il balbutia ses remerciements
Pour cet hommage, cet hommage si grand!

Chacun regarda avec surprise
Cette mise en scène si singulière,
Et, secrètes et anxieuses,
Les vieilles femmes murmurèrent:

« Laskaro a rit!
Laskaro a rougi!
Laskaro a parlé!,
Lui, fils de sorcière, décédé! »

Le jour même, Atta Troll
Fut, de sa peau, dépouillé.
Elle fut vendue aux enchères,
Pour cent francs, à un pelletier.

Ce dernier l'enjoliva d'écarlate,
Elle fut merveilleusement garnie;
Il la négocia une fois de plus,
Au double de son prix.

Ce n'est qu'en troisième main
Que finalement Juliette l'acquit,
Et elle lui sert comme descente de lit,
Dans sa chambre à coucher, à Paris.

O, j'ai si souvent la nuit
Foulé, de mes pieds nus cette peau,
De couleur brune, d'Atta Troll,
Cette peau de mon héros!

Puis, en proie à une mélancolie profonde,
Je pensai à Schiller quand qu'il dit:
« Tout ce qui vit éternellement en poésie,
Doit également périr dans la vie! »

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