Atta Troll. Songe d'une nuit d'été

Text by Heinrich Heine (1797-1856)
Traduit en français par Joseph Massaad 

Caput XVII - deutsch

Avant-propos | I | II | III | IV | V | VI | VII | VIII | IX | X | XI | XII | XIII | XIV | XV
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C'est une vallée, pareille à une rue,
Geisterhohlweg, tel est son nom;
De raides roches s'élancent bien haut,
Vertigineuses, des deux côtés du vallon.

Sur le versant le plus horriblement escarpé,
Comme un observatoire, épiant le vallée,
Se trouve la petite maison d'Uraka,
Vers laquelle Laskaro m'emmena.

Il discuta avec sa mère
En un langage de signes secret,
Comment attirer Atta Troll
Pour le piéger et le tuer.

Car on avait bien dépisté
Sa trace. Il ne pourra jamais
Nous échapper: Atta Troll,
Tes jours sont comptés!

Si la vieille Uraka était
Vraiment une sorcière grande
Et exceptionnelle, comme les gens
Des Pyrénées le prétendent,

Je ne saurai jamais en décider.
Je sais seulement que son aspect
Extérieur était louche. Le ruissellement
De ses yeux rouges était suspect.

Son regard était mauvais et louche;
Et on dit que la pauvre vache
Quelle regarde, voit soudain
Que le lait de son pis se dessèche.

On assure même qu'elle aurait,
De ses mains desséchées, causé la mort
De maints cochons, en les caressant,
Ainsi que des bœufs parmi les plus forts.

Parfois aussi, on l'accusait
De pareils méfaits
Au juge de paix, mais
En Voltairien, ce dernier,

Etait enfant du monde moderne,
Superficiel et non croyant,
Avec scepticisme, presque mépris,
Il renvoyait les plaignants.

Officiellement Uraka pratique
Un très honnête métier,
Car elle vend des herbes de montagne
Ainsi que des oiseaux empaillés.

La cabane était pleine de ces produits
De la terre. Cela puait bien fort
De jusquiame et de lilas des morts,
De fleurs de chou et de racines de mandragore.

Une collection de vautours
Etait excellemment exposée,
Avec leurs becs monstrueux
Et leurs ailes déployées.

Etait-ce la vapeur de ces folles plantes,
Qui me monta à la tête pour me griser?
La vue de ces oiseaux exerça sur moi
Un merveilleux effet.

Ce sont peut-être des hommes maudits,
Qui, ayant été ensorcelés,
Se retrouvent dans cet état malheureux
D'oiseaux empaillés.

Ils me regardent si fixement, souffrants,
Et si impatients, en même temps!
Parfois aussi ils semblent timidement
Regarder la sorcière, en louchant.

Mais Uraka, cette dernière.
Est accroupie à côté de son fiston
Laskaro, près de la cheminée,
A couler des balles, à chauffer du plomb.

Ils coulent la balle du destin
Qui mènera Atta Troll à sa fin.
Les flammes jaillissent d'une manière
Si précipitée sur le visage de la sorcière!

Elle bouge ses fines lèvres
Sans arrêt, mais sans bruire.
Murmure-t-elle la bénédiction druide
Afin que sa coulée puisse réussir?

Parfois elle ricane et fait signe
A son fils, qui consacre ses efforts,
A sa besogne, aussi sérieux
Et silencieux que la mort.

Accablé de frissons étouffants,
J'allai à la fenêtre afin de respirer
L'air frais et je regardai vers le bas,
Dans la lointaine vallée.

Ce que je vis à cette heure en question,
Entre minuit et une heure du matin,
Je le raconterai joliment et fidèlement
Dans les chapitres prochains.

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