Atta Troll. Songe d'une nuit d'été

Text by Heinrich Heine (1797-1856)
Traduit en français par Joseph Massaad 

Caput XVI - deutsch

Avant-propos | I | II | III | IV | V | VI | VII | VIII | IX | X | XI | XII | XIII | XIV | XV
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Si tu regardes ces sommets de montagnes
De loin, ils rayonnent pareils
Que si parés d'or et de pourpre,
Princièrement fiers dans le brillant soleil.

Mais de près cette magnificence
Disparaît, comme pour plusieurs
Des autres proéminences terrestres,
Les effets de la lumière sont trompeurs.

Ce que tu pensais être or et pourpre,
N'est, hélas qu'une neige pleine de vanité,
Une neige vaniteuse, qui, stupide et misérable,
Dans la solitude, est là, à s'ennuyer.

Plus près, là-haut, j'entendis
Comment la pauvre neige en craquetant,
Se plaignit de toute sa misère blanche
Au vent froid et sans sentiments.

« O, avec quelle lenteur », soupira-t-elle,
« Les heures rampent ici, dans cette désolation,
Ces heures qui ne finissent pas,
Comme des éternités en congélation!

O, moi, pauvre neige! O, si au lieu
Des hauteurs de ces monts,
J'étais tombée dans la vallée,
Dans la vallée des fleurs en floraison!

Alors, j'aurais pu fondre
En un tout petit ruisseau,
Et souriante, la plus belle du village
Laverait son visage dans mon eau.

Oui, j'aurais peut-être pu couler
Jusqu'à la mer, où, me transformant
En perle, j'aurais finalement servi,
Dans une couronne royale, comme ornement! »

Alors que j'écoutai ces propos,
Je dis: « Chère neige, je doute fort,
Que dans la vallée, tu serais destinée
A un aussi brillant sort.

Console-toi. Il y a peu, en bas,
Qui deviennent des perles, hélas!
Peut-être serais-tu tombée dans une flaque,
Et tu serais devenue de la crasse! »

Pendant que j'entretenais avec la neige
Des propos, de cette manière,
Un coup de feu partit, et, de là-haut,
Un vautour brun s'affaissa par terre.

C'était un des petits plaisirs de Laskaro,
Un plaisir de chasse. Mais sa face restait,
Comme toujours, figée et sérieuse,
Seul le canon du fusil fumait.

En silence, il tira une plume
Du postérieur de l'oiseau pour la poser
Sur son chapeau de feutre pointu,
Et il continua sa randonnée.

C'était une vision absolument macabre,
De voir son ombre se déplacer,
Longue et noire, avec la plume,
Sur la neige blanche des sommets.

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