Marie Antoinette

Text by Heinrich Heine (1797-1856)
Traduit en français par Joseph Massaad 

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Aux fenêtres des Tuilleries
Comme les glaces peuvent gaiment luire!
Pourtant, on y voit, en plein jour,
Maints vieux fantômes y revenir.

Oui, dans le pavillon de fleurs
Reparait Marie-Antoinette;
Le matin, elle y tient son lever
Selon la plus stricte étiquette.

Habillées de robes de gala,
Assises, debout, dames, demoiselles
Resplendissent dans des étoffes
Desquelles pendent bijoux et dentelles.

Leurs tailles sont minces, sous leurs jupes
A paniers, d'une manière coquette,
Avancent leurs pieds aux fines chevilles.
Hélas! que n'ont-elles des têtes!

Mais tout ce monde est sans tête,
La reine elle-même en est privée;
C'est ainsi que sans coiffure
Se pavane cette Majesté,

Elle, si fière et dont la coiffure
Etait aussi haute qu'une tour,
La fille de Marie-Thérèse,
La descendente des Habsbourgs.

Elle est réduite à revenir
En fantôme, telle qu'elle est faite,
Entourée des dames de sa cour,
Qui n'ont ni coiffures ni têtes.

La révolution en est la cause,
Avec ses fatales doctrines;
La faute est à Jean-Jacques Rousseau,
Voltaire et la guillotine.

Chose bien singulière encore!
Il semble bien que ces pauvres êtres
Ne réalisent pas qu'elles sont mortes,
Ni que leurs têtes aient pu disparaître.

On fait de sottes courbettes,
Comme autrefois, avec plaisir,
Et ces révérences sans têtes
Font rire à la fois et frémir.

Avec révérence, une dame d'atour
Apporte une chemise en linon,
Une deuxième la présente à la reine,
Puis, avec révérences, elles s'en vont.

La troisième dame et la quatrième,
Font une révérence, puis tout bas
S'agenouillent devant la reine,
Afin de lui passer ses bas.

Une demoiselle d'honneur s'incline
Et apporte l'habit du matin.
Une autre encore se plie en deux,
Portant une jupe entre les mains.

L'intendente pincipale évente
Des seins d'une unique blancheur,
Et vu qu'il lui manque la tête,
Sourit avec le postérieur.

Le soleil qui, par la fenêtre,
Glissait un regard curieux,
D'un spectable aussi macabre,
Effaré, détourne les yeux.